Qui était le poilu oublié sur le monument aux morts
de la commune de Eurre ?
Sur les plaques de marbre couvrant les flancs du monument aux morts de la commune, trente noms y sont inscrit en lettre de sang. Du sang versé pour la France, du sang donné pour libérer notre sol envahit, du sang répandu sur notre terre avec courage, abnégation, peur mais espoir.
Pourtant, cette liste est incomplète. En 1921, au moment d’ériger ce monument à la gloire de ses enfants Morts pour la France, la municipalité en place a omit d’y inscrire celui de BOST Paul Antonin.
C’est en cherchant sur le site internet de « Mémoire des hommes » du Ministère de la Défense, les fiches des poilus de Eurre ainsi que les transcriptions de l’acte officiel de leur décès et de la mention « Mort pour la France » sur les registres d’état civil de la commune que cette notion d’oublie s’avéra.
Pourquoi un tel oubli ?
La municipalité de 1921 n’était pas le même que celle en place pendant la durée de la guerre.
La famille BOST ne résidait sur le territoire de la commune que depuis courant 1911 car elle ne figure pas sur l’état de recensement de cette année. Mais à sa mobilisation en 1914 il est inscrit comme habitant le quartier des Siquets à Eurre.
Pourquoi cette omission n’avait pas fait l’objet de revendications de la part de la famille ?
Sa mère, Marie Suzanne TRAME, née le 21 avril 1838 à Beauchastel ( 07 ) s’est mariée le 1er octobre 1863 à Toulaud ( 07 ) avec Auguste RICHARD né le 5 septembre 1836 à Divajeu ( 26 ) . Le couple s’installe à Eurre au quartier Besson, mais le 16 janvier 1865, le mari décède.
Marie Suzanne TRAME, encore jeune, se remarie le 6 avril 1866 à Eurre, avec Antonin Adolphe BOST, né à Chabeuil le 1er septembre 1838.
Au quartier Besson jusqu’en 1870, le couple quitte Eurre pour s’installer à Vaunaveys où naquit Paul Antonin le 11 août 1880.
Après 1911, ses parents étant assez âgés, Paul Antonin revient s’installer comme agriculteur à Eurre, quartier des Siquets. Sa demi-sœur RICHARD Marie Elisa est morte à 14 mois, son frère BOST Antonin Adolphe n’a vécu que 7 jours, son autre frère BOST Lucien, né en 1870 s’est marié en 1899 à Crest et sa sœur BOST Marie Rose, née en 1867 à Eurre s’est mariée en 1894 à Vaunaveys.
Paul Antonin a perdu son père, Antonin Adolphe BOST, entre 1914 et 1916, alors qu’il était déjà parti à la guerre. Sa mère, âgée de 79 ans, décède dans sa maison au lieu-dit le Volard à Eurre le 23 février 1917 soit 2 mois après l’annonce officielle de la mort de son fils.
Aucun membre de sa famille ne pouvait, donc, défendre sa cause et faire valoir ses droits à figurer, comme les autres poilus, à la place d’honneur sur le monument de la commune.
BOST Paul Antonin, né à Vaunaveys, le 11 avril 1880, fait son service militaire au 14ème Bataillon de Chasseurs à pieds, comme clairon, de novembre 1901 à septembre 1904.
Mobilisé en août 1914, il rejoint le 14ème Bataillon de Chasseurs à Grenoble puis passe au 13ème Bataillon de Chasseurs à pieds sur la ligne de front des Vosges et de l’Alsace.
En mars 1916 il est affecté au 53ème Bataillon de Chasseurs Alpins, régiment de réserve du 13ème.
Le parcourt de vie de BOST Paul Antonin n’est pas différent de celui des autres enfants de France partis, en ce début du mois d’août 1914, vers leur destin très incertain.
Rappelé sous les Drapeaux le 2 août 1914 pour cause de mobilisation générale, il rejoint le 14ème Bataillon de Chasseurs à pieds à Grenoble.
Au sein du 14ème Bataillon de Chasseurs à pieds, dans les Vosges ( 13 août – 4 octobre 1914 )
Dès le 11 août, le détachement des 1ère et 6ème compagnies composées des mobilisés rattachés à Grenoble est acheminé vers Saint Dié en vue d’un regroupement avec le reste du Bataillon rapatrié du Maroc. En effet, celui-ci a embarqué le 4 août sur le « Ville de Tunis » à destination de Bordeaux où il arrive le 10. Le 13 août, le bataillon embarque dans un seul train de 48 voitures de 3ème classe à destination de Besançon où il arrive le 15, mais l’ ordre est reçu de continuer vers Belfort, Luxeuil, Bains les Bains, Epinal et Saint Dié où il débarque le soir. Le regroupement à lieu près de Lubine, le 17 août sur la piste frontière vers le Col de St Dié.
La première offensive sur l’Alsace s’étend soldé par un échec, le Général JOFFRE ordonne la constitution d’une armée plus importante.
A cette date, le 14èmè BCP est affecté à la 2ème Armée, 14ème Corps d’Armée.
C’est d’abord les combats de St Blaise puis du Col de Charbonnière et s’enchaînent ceux de la Pierre d’Appel et du Ravin de l’Etape et de la Côte de Repy.
Dès le 16 août, la pluie est de la partie, une pluie glaciale sur ces petites hauteurs, pour le plus grand déplaisir des chasseurs isolés dans la nature par petits postes qui, par mesures de sécurité ne peuvent allumer le moindre feu.
Puis ce fut la réorganisation en défensive sur le Mont Ste Odile et le combat de Pajaille
« Combat à la baïonnette et d’esquives où le fanion de la 4ème compagnie doit être enterré pour ne pas être pris par l’ennemi. Les hommes combattent toute la nuit et toute la journée, sans repos ni nourriture, sous la pluie… ». Les Bataillons de Chasseurs vont être nommés « les diables bleus » par les Allemands.
Fin août, c’est Nompatelize et La Salle, la Bourgonce où un renfort de 3 officiers, 38 sous officiers et 404 chasseurs vient combler les pertes du 14ème Bataillon de Chasseurs qui s’élèvent, en moins d’un mois, à 562 hommes tués, blessés et disparus, sur 773.
Sans discontinuer, ce sera des combats dans un milieu de montagnes, de forêts, de prises et de pertes et de reprises, d’avancées et de reculs sur Nompatelize, Petit Jumeau, la Croix Idoux près de St Michel sur Meurthe.
Le 5 septembre 3 chasseurs sont fusillés pour cause de mutilation volontaire. Mais, les pertes étant importantes, le 8 septembre, les 4 condamnés à mort par le Conseil de Guerre pour le même motif, sont graciés. Du 31 août au 24 septembre le Bataillon perdra 412 hommes.
Pourtant depuis le 10, il n’y a plus de perte ; le 13 et 14 septembre le Bataillon se trouve à Rambervillers.
Le général de division passe en revue le Bataillon à Ancerviller. Des reconnaissances sont menées vers Blainville les Eaux près de Nancy et le bataillon y installe un cantonnement.
La vaste bataille, du 25 août au 12 septembre, de Mortagne à la Chipotte a été décisive pour l’Armée Française de l’Est en ce début du conflit.
Le 19 septembre 1914, Paul Antonin, avec le Bataillon embarque en chemin de fer avec tout le Corps d’Armée pour un changement de théâtre d’opération. Destination Rosières en Santerre dans la Somme.
Dans la Somme du 20 septembre au 17 octobre 1914
Après un voyage de 3 jours, l’arrivée en Somme et une poussée sur Lihons et Chaulnes fait déjà 13 tués, 48 blessés et 27 disparus.
Le Général Joffre dans son ordre n° 7426 explique : « La bataille décisive est engagée dans des conditions qui sont favorable. L’ennemi a poussé tous ses corps en ligne et recherche par des efforts violents à échapper à l’étreinte de nos armées. Le Général en chef compte qu’à cette heure d’où peut dépendre le succès de la campagne, chacun mette, une fois de plus, une énergie indomptable à refouler et assurer la victoire à nos armes. »
Le 26 septembre, après une journée relativement calme, de violents bombardements de l’artillerie Allemande pilonnent la campagne entre Maucourt et Chilly et font 11 tués, 36 blessés et 5 disparus.
Toute la journée suivant n’est que canonnade meurtrière.
Les homme travaillent la nuit pour consolider et terminer les tranchées en construction et creusent assez profond pour que la compagnie puisse s’y tenir le jour.
Le 29, fort bombardement français et recul des forces Allemandes, prises des tranchées ennemies.
Paul Antonin et la totalité de ses camarades, restent inébranlables sous les nombreuses salves de 75 de l’artillerie allemande. 23 tués, 82 blessés et 34 disparus est le bilan de cette journée du 1er octobre 1914. Et les jours de succèdent avec leurs lots de morts
Le 14 octobre, on creuse une galerie pour contre-butter les travaux de sape de l’ennemi.
Le 15 on pose de réseaux de fil de fer barbelé.
Le 17 octobre Paul Antonin est versé au 13ème Bataillon de Chasseurs .A cette date, le 14ème Bataillon a déjà perdu près de 1000 hommes (974) depuis le début des hostilités.
Le néant ou presque
Aucun document, aucun carnet de marche du 13ème BCP n’est parvenu aux services historiques des Armées.
Mais des actions sont connues telle celle de décembre 1914 où le 13ème se trouve en plaine d’Alsace, aux abords de l’observatoire du Hartmannswillerkopf (HWK), un promontoire de 956 mètres. Une bataille de possession du point stratégique fera rage durant plusieurs semaines.
Des combats ont lieu dans une épaisse forêt, sous une forte neige (+ 2 m) et des températures glaciales et où le 13ème et le 53ème Bataillons sont engagés le 20 janvier 1915
Le 21 janvier, un combat de 3 jours fait plus de 1000 morts dans les deux camps.
Le 27 février 1915 les Allemands repoussent les attaques de plusieurs Bataillons de Chasseurs dont le 13ème.
Le 26 mars, après une préparation d’Artillerie de 35 heures, l’assaut est donné par le 15-2 (les diables rouges) et des sections, entres autres, du 13ème et 53ème BCA. Le sommet du HWK est atteint et dépassé.
En mars 1916, d’après sa fiche individuelle, Paul Antonin est affecté au 53ème Bataillon de Chasseurs qui est le bataillon de réserve du 13ème, au sein de la 46ème Division d’Infanterie, nouvellement créé le 21 mars 1916.
Au 53ème Bataillon de Chasseurs Alpins, dans la 1ère Brigade de Chasseurs de la 46ème Division d’Infanterie ( du 26 mars au 4 septembre 1916)
Peu de renseignements, mais quelques indications d’ordres nous informant sur les actions du 53ème Bataillon de Chasseurs Alpins qui dès le 26 mars fait partie de la 1ère Brigade de Chasseurs.
Le 6 avril, le Général commandant la VIIème Armée ordonne une rectification du front dans la région de Neurgey – Hte Roche. (Orbey)
20 avril, attaque par les gaz dans la région de La Tête de Faux et du Violu. (dans la région du Col du Bonhomme)
25 avril, les combats font rage sur Le Linge – schratzmännele (à l’ouest de Colmar) et le col de Diettstein.
16 juin la 1ère Brigade est mise au repos dans le secteur du Linge.
30 juin en raison des conditions atmosphériques nettement et continuellement défavorable, l’opération par les gaz à la Tête de Faux est abandonnée.
5 juillet, la 46ème Division se rend dans la région de Bruyères. (entre Epinal et Ste Marie aux Mines)
7 juillet, coup de main sur les tranchées au nord du Grand Calvaire de Bonhomme.
8 juillet, coup de main ennemi sur les tranchées Regnault du Violu
du 19 au 29 juillet le 53ème BCA se trouve en période d’instruction au camp de Jaffais.
Les 30 et 31 juillet la 46ème Division d’Infanterie embarque à destination du Sud Ouest d’Amiens dans la Somme. Par ordre particulier n° 1253 de la 6ème Armée, la 46ème DI est rattachée à la 6ème Armée et est mise en réserve du groupement des Armées du Nord.
Du 1er au 14 août 1916 mouvement dans la région de Poix puis cantonnement à Aubigny -thieulloy.
Dans la nuit du 19 au 20 août, la 1ère Brigade de Chasseurs relève la 2ème Brigade de Chasseurs.
Le 21 août la 46ème Division est en ligne avec entre autres à droite (au sud) le long de la route Maurepas – Cléry (ouest de Péronne), la 1ère Brigade ayant en première ligne le 7ème et 47ème Bataillon de Chasseurs et en réserve de Brigade le 53ème Bataillon parmi lequel se trouve notre compatriote Paul Antonin BOST.
Dans le dispositif général, la 46ème DI est la division de droite du 1er Corps d’Armée.
Le 29 août, la 1ère Brigade de Chasseurs reçoit son plan d’engagement. L’attaque doit avoir lieu le 24 août. A 17 h 45 l’attaque se déclenche mais, alors que sur la gauche, les éléments de la Division avancent, par contre, à droite, la 1ère Brigade stoppe devant une ligne solidement tenue et organisée entre le «Chemin creux » (Maurepas-Cléry) et le « Bois du ravin » du Forest.
25 août, ennemi très actif, attaques et contre-attaques se succèdent. Les pertes pour ces deux journées sont impressionnantes pour l’ensemble de la 46ème Division : 14 Officiers et 250 hommes tués ; 29 Officiers et 600 hommes blessés.
Par contre, les Français ont fait de nombreux prisonniers Allemands : 2 Officiers, 1 Sous-Officier et 141 hommes.
Le 26 août, la 1ère Brigade doit fixer ses positions.
A partir du 29 août, le mauvais temps fait repousser l’ordre d’attaque qui se fera le 3 septembre à midi.
L’opération réussit pleinement, la Division atteint ses objectifs faisant un grand nombre de prisonniers et capturant de nombreux matériels.
Le destin
Le soir, les ordres sont donnés pour l’attaque du 4 septembre 1916, ainsi que les ordres de mise en réserve de la 1ère Brigade de Chasseurs dès le 5 septembre.
La main protectrice qui avait jusque là sauvegardé Paul Antonin, n’était pas au rendez-vous et Paul Antonin sera tué pendant cette attaque du 4 septembre 1916 dans le bourbier de la campagne Picarde à Maurepas en essayant de prendre la « tranchée de l’hôpital ». Il était âgé de 36 ans.
L’attaque permis une avancée importante et une consolidation des positions acquises, mais les pertes des 1ère et 5ème Brigades de Chasseurs engagées s’élèvent à 28 Officiers tués, 53 blessés et 2 disparus et dans la troupe, 531 tués, 2238 blessés et 194 disparus.
Paul Antonin trouve la mort sur le champ de bataille dans le département de la Somme, à Maurepas, le 4 septembre 1916, au cours des offensives. Il est enterré dans la nécropole nationale de Maurepas.
Le procès-verbal est retranscrit sur le registre des décès de la commune, le 18 décembre 1916 par le maire Jean Louis FAURE.
L’oubli de 1921 a été réparé 90 ans après, lors de la cérémonie commémorative de l’armistice du 11 novembre 1918, au monument aux morts pour la France de EURRE, le 11/11/2011 à 11H 00.
Jean Michel LEROUX
Novembre 2011